J.O. 296 du 22 décembre 2006
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 5 décembre 2006 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2006-544 DC
NOR : CSCL0609762X
LOI DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2007
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, les sénateurs requérants ont l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.
S'associant au recours développé par les députés du groupe socialiste, les sénateurs souhaitent plus précisément développer à l'appui de cette saisine les observations suivantes, relatives à l'article 55 de la loi déférée.
Les faits
A l'initiative du Gouvernement, un amendement modifiant radicalement les conclusions de la commission mixte paritaire a été adopté à l'article 55. Le I créé à cette occasion vise à instituer, dans le cadre de l'article L. 122-14-13 du code du travail, un nouveau cas de rupture du contrat de travail pour les salariés âgés reposant « sur l'accord de l'employeur ». Il est prévu que le régime fiscal et social de l'indemnité de départ versée au salarié soit le même que celui de l'indemnité de licenciement.
Ce régime d'exonération total de charges sociales, à l'exception de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, doit s'appliquer à partir du 1er janvier 2010 et jusqu'au 1er janvier 2014. Son coût pour les finances sociales serait compris entre 600 millions et un milliard d'euros par an. Il s'adresse uniquement aux 122 branches professionnelles ayant conclu une convention ou un accord collectif étendu dérogeant aux dispositions de l'article 16 de la loi no 2003-775 du 21 août 2003 qui prévoient le report à 65 ans de l'âge auquel un employeur peut mettre un salarié à la retraite d'office.
Comme l'a indiqué devant l'Assemblée nationale, le 28 novembre 2006, M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, le Gouvernement s'est fixé pour objectif de créer un mécanisme de substitution à la mise en extinction d'ici au 31 décembre 2009 de ces dérogations :
« Le présent amendement introduit donc, pour les branches professionnelles et les entreprises qui ont conclu des accords permettant la mise à la retraite d'office avant l'âge de soixante-cinq ans, une période transitoire allant du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2014. »
Il convient enfin de souligner que ces dispositions sont quasiment identiques :
- à celles qui avaient été supprimées à l'article 13 bis par le Sénat, se prononçant alors à l'unanimité et par un scrutin public ;
- mais également à celles qui avaient été repoussées par la commission mixte paritaire à l'article 55 du même projet de loi.
Une méconnaissance grave du principe d'égalité
En créant un mécanisme d'exonération de charges sociales réservé aux entreprises de ces 122 branches professionnelles, le I de l'article 55 méconnaît gravement le principe constitutionnel d'égalité. D'ailleurs, au cours des débats en séance publique sur les conclusions de la commission mixte paritaire, le rapporteur pour avis de la commission des finances de l'Assemblée nationale ainsi que le rapporteur pour la branche vieillesse de la commission des affaires sociales du Sénat ont eux aussi exprimé leurs doutes sur la constitutionnalité de l'amendement proposé par le Gouvernement.
De fait, le bénéfice de ce traitement fiscal et social très favorable est réservé à une partie des 300 branches professionnelles de l'économie française. Les 122 branches ayant signé des accords dérogatoires ne représentent en effet que sept millions de salariés, sur un total de vingt-cinq millions de personnes actives. A cela s'ajoute le fait que ce système d'exonération de charges sociales bénéficierait principalement aux grandes entreprises et ne concernerait pas la plupart des petites et moyennes entreprises. En outre, cette mesure s'adresse principalement aux cadres et aux cadres dirigeants, bien davantage qu'aux autres catégories sociales.
Il y a donc manifestement rupture d'égalité. Et cette situation n'est pas en l'espèce conforme à la jurisprudence constante, encore réaffirmée dans la décision no 2005-514 du 28 avril 2005, du Conseil constitutionnel envisageant :
- la possibilité pour le législateur de régler de façon différente des situations différentes ;
- ou de déroger à l'égalité pour des raisons d'intérêt général ;
- pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
En établissant une différence de traitement en matière d'indemnité de rupture de contrat de travail des salariés âgés fondée uniquement sur la branche professionnelle à laquelle ils appartiennent, le législateur ne règle pas de façon différente des situations différentes.
Cette mesure n'est pas davantage susceptible de se rattacher à la notion d'intérêt général, dans la mesure où elle prolonge de quatre années les incitations aux entreprises à faire partir leurs salariés le plus tôt possible. C'était d'ailleurs, avant qu'il ne change d'avis, l'opinion du ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, qui avait formulé le 26 octobre 2006 un avis défavorable, dépourvu de toute ambiguïté, à l'occasion du vote d'un amendement identique à l'article 13 bis du projet de loi :
« Or cet amendement va à l'encontre de toute la politique que nous voulons mettre en oeuvre pour inciter à la prolongation d'activité des travailleurs les plus âgés. Actuellement, le système d'exonération des indemnités de fin d'activité est différent selon que la fin d'activité résulte d'une mise à la retraite d'office ou d'une initiative du salarié. Si vous exonérez les indemnités de cotisations sociales de la même façon dans les deux cas, vous incitez les salariés et les entreprises à privilégier les départs anticipés à la retraite. (...) On ne peut vouloir une chose et son contraire : si nous souhaitons la prolongation d'activité des salariés âgés, nous devons en assumer de manière responsable toutes les conséquences. »
En outre, l'exonération de charges sociales accordée aux entreprises de ces 122 branches professionnelles ne s'inscrit pas en rapport direct avec l'objet de l'article 55 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Au contraire, les dispositions du I sont en totale contradiction avec le reste de cet article .
Cette mesure, introduite dans le présent projet de loi à l'initiative du Gouvernement, à l'issue des travaux de la commission mixte paritaire, n'obéit donc à aucun critère objectif, sinon au souci de prolonger les dispositifs dérogatoires existants. Cette situation apparaît pour le moins paradoxale eu égard à la volonté précédemment exprimée par le législateur et aux travaux parlementaires les plus récents. Ainsi, dans son rapport consacré à l'examen des articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, le rapporteur pour les équilibres financiers généraux de la commission des affaires sociales du Sénat s'est inquiété en ces termes des effets des accords dérogatoires existants :
« Depuis la promulgation de la loi [n° 2003-775 du 21 août 2003], pas moins de cent vingt-deux branches professionnelles, dont les plus importantes, ont conclu des accords sur cette base. Par ses proportions, la dérogation a vidé de sa substance les dispositions générales et l'exception est devenue la règle. Huit branches professionnelles au minimum ont même conclu des accords dérogatoires en dessous de l'âge de soixante ans qui apparaissent d'une légalité contestable, voire très douteuse. »
Et à l'occasion des débats en séance publique au Sénat sur l'article 55 du projet de loi, le rapporteur pour la branche vieillesse a considéré, sans être démenti par le Gouvernement, que parmi ces : « cent vingt-deux accords dérogatoires, huit d'entre eux [ont] même fixé l'âge de la mise à la retraite d'office en dessous de soixante ans, ce qui est totalement illégal ».
En définitive, dans sa nouvelle rédaction, le I de l'article 55 tend à prolonger jusqu'en 2014 l'existence de dispositifs conventionnels dérogatoires dont certains sont illégaux. Cette situation, choquante sur le plan des principes et attentatoire à la dignité du Parlement, est constitutive d'une discrimination injustifiée entre les assurés sociaux. Elle trouble le droit de la concurrence et méconnaît gravement le principe constitutionnel d'égalité.
Pour toutes ces raisons, le I de l'article 55 ne peut qu'être censuré.